Migration clandestine : lutte hypocrite… et résultats dramatiques

28 mai 2016

Migration clandestine : lutte hypocrite… et résultats dramatiques

visite d'un centre de migrants
photo de Cedric Riedmark

La migration africaine vers l’Europe, chacun la voit à sa manière : un danger venant du sud, ou un paradis fleuri au nord.  Entre les deux visions se trouve la réalité cruelle, qui absorbe chaque année des milliers de pauvres gens qui ont eu le malheur d’être dans ce pourri monde, orchestré par les intérêts étroits des pays qui ne voient dans ce drame qu’une opportunité parmi d’autres de se servir dans cet énorme buffet de droits de l’homme.

ONG (Organisations Non-Grata)… l’immigration leur pond des œufs en Or

Un pauvre migrant Malien, pourrissant depuis 9 mois dans une cellule de 32m2, lui et 69 autres, dans le centre de rétention de « Gwaiaa », se retrouve incapable de te donner le nom d’un ONG.

-« c’est quoi un ONG ? Personne n’est venu nous voir »

Othman le malien, ainsi que les centaines de migrants interrogés durant ses quatre ans de travail pour les médias ou pour des études de terrain, ne savent pas ce qu’est une ONG, n’ont jamais entendu parler de l’IOM (International organization for migration).

Cette absence mystérieuse de ces organisations en Libye depuis deux ans, surtout durant cette période considérée comme la plus meurtrière depuis des années, pose une question alarmante sur la fiabilité de telles organisations, qui bénéficient de fonds budgétaires capables de résoudre les problèmes financiers d’un bon nombre de pays originaires de ces migrants économiques. Des milliards sont dépensés pour que ces ONG assurent leurs rôle virtuel, qui se limite généralement à signaler l’inquiétude de la situation critique des migrants en Libye.

-« Pour des raisons de sécurité, nous étions obligés de quitter le pays », telle été la réponse d’un dirigeant d’une organisation mondiale rencontré dans un bureau de la capitale tunisienne. Cette organisation, créée pour être présente même dans des zones de conflits, était la première à partir de Libye, pour gérer à distance son absence productive.

L’Europe… dispositif passoire, et positions contradictoires

Une opération militaire de la flotte de l’OTAN appelée SOFIA avait comme objectif de détruire les bateaux soupçonnés d’être destinés au trafic des migrants sur la côte libyenne. L’absence d’un interlocuteur libyen et de service fiable sur place pour assurer un ciblage efficace ont fait de cette opération une longue croisière maritime pour les officiers à bord.

Cette opération n’a non seulement pas atteint son seul et unique objectif, mais elle a aussi contribué à l’augmentation du flux et à une prise de risques croissante par les migrants. Sous prétexte que les européens sont à quelques kilomètres seulement des côtes libyennes et qu’ils sont là pour les embarquer systématiquement, leurs passeurs les poussent à partir même dans les conditions météorologiques non favorables à la navigation. Résultat : les bateaux de migrants sont de plus en plus remplis et de plus en plus rudimentaires.

-« Ne vous inquiétez surtout pas ! les frontières européennes ne sont qu’à 12 km de la côte libyenne. Une heure et vous serez repêchés… »

Les garde-côtes libyens, qui souffraient déjà d’un sous-équipement phénoménal, ont été privés des services de quatre de ses bateaux, qui représentaient le fer de lance de sa flotte pour le contrôle des zones maritimes. Ces derniers ont étés envoyés en Italie pour maintenance voilà deux ans, et sont actuellement retenus par les autorités italiennes pour des raisons incompatibles avec les prétentions de l’Union européenne de lutter contre le flux de migration.

Les frontières sud-ouest avec le Niger sont merveilleusement bien contrôlées par des forces de l’armée française, le pays le plus touché par ce trafic étant aussi le pays de destination par excellence de tous les pays francophones de l’Afrique. Ce passage alimente le flux de plus de 60% des migrants, soit toutes les nationalités de l’Ouest africain et de l’Afrique centrale.

Le Niger, pays de passage important et frontalier avec la Libye, a suspendu l’obligation du visa d’entrer dans son territoire, avec trois pays considérés comme les pays d’origine du tiers du flux en l’espace d’un an, sans que personne ne s’interroge sur le pourquoi. Et surtout, pourquoi maintenant ?

Le chaos libyen… que tout le monde se serve !

La Lybie, de par son territoire gigantesque caractérisé par une nature désertique très étendue, a une faible densité de population (2,5 habitants/km2 soit six million d’habitants pour 1, 765,000 km2) et une concentration urbaine répartie seulement sur quatre grandes villes, dont la capitale. Le pays est délimité par une bande côtière relativement longue (1950km) et des frontières étendues et incontrôlables avec des pays considérés comme des pays de départ et de passage des migrants.

Les gouvernements successifs, superposés et interférents de la nouvelle Libye, ont essayé de tirer profit de ce dossier, tout comme leurs prédécesseurs, qui ont souvent employé le dossier de la migration comme une carte de pression politique.

Des chiffres « officiels » très flexibles ont été annoncés aux différents intervenants et naïvement rediffusés par les médias locaux et internationaux, afin de mettre l’accent sur ce phénomène. Et ce à travers des rapports superficiels d’estimation, basés sur des données répertoriées par des institutions officielles dans un pays qui n’a jamais su faire un recensement simple du nombre de ses habitants, de leur revenu brut ou encore de leurs espérance de vie (qui a dégraissé considérablement, dieu merci).

Ces institutions se sont retrouvées obligées de gérer des centaines de milliers de migrants, au moment où elles étaient incapables de gérer les besoins basiques d’une population qui effleure la guerre civile chaque jour.

A tout cela vient s’ajouter une anarchie sécuritaire sans égal, accentuée par une forte domination de milices armées, formées généralement d’anciens criminels, trafiquants de drogues et autres.

Des centres aléatoires et périodiques créés et gérés par des brigades armées qui, pour varier leurs activités durant la saison de la chasse à l’homme, se mettent en quête des migrants, de ce précieux migrant qui pourra combler le vide budgétaire dans la gestion de la brigade à cause des problèmes de liquidité que le pays connait en ce moment. Avec une vente à l’enchère au plus offrant par tête, des centaines de dinars libyens sont capables d’ouvrir les portes des prisons à celui qui bénéficie de service après-vente de son passeur.

Les passeurs, mieux organisés que la plupart des institutions de ce pays, et dépendants d‘un réseau international de smuggling, opèrent librement en Libye. Ils sont repartis par zones de contrôle et par spécialité. Certains sont des Mandoubs : il s’agit de personnes chargées du rassemblement des migrants, soit par leurs contacts dans les pays de départ (Somalie, Ethiopie et Erythrée surtout), soit sur place durant l’attente avant le départ en mer des migrants. Ceux-ci viennent en Libye en passant par plusieurs passeurs à chaque étape de leurs voyages. Certains assurent la Hadhana ou l’hébergement, et certains sont Hamala, ou transporteurs.

Cette structure, qui a toujours existé et qui a même été entretenue par le régime de Kadhafi à un certain moment pour punir l’Europe au besoin, a connu une montée en puissance extraordinaire depuis cinq ans. Représentant le maillon central qui joint les deux bouts (pays de départ – pays de destination), la Libye lui fournit le terrain idéal pour s’épanouir. Surtout quand on sait qu’un voyage pareil coûte entre 2500 et 5000 $ par personne, et qu’un passeur (Mandoub) débutant, local, en bas de l’échelle, fait 1000 personnes par an et touche 500$ par tête. Et qu’un autre passeur de grand calibre, qui couvre le Soudan et la Libye et assure une formule complète de voyage clef en main dans la gamme réfugiés (Somalie Erythrée et Ethiopie), peut gagner entre 1500 à 2000$ par tête avec une tendance de 3000 à 4000 migrants par an.

Le migrant… un repas festif pour célébrer la Sainte « liberté »

centre Gwaia
photo de cedrik riedmark

La charte internationale des droits de l’Homme protège le droit de la liberté de circulation étant un des droits basiques de tout être humain.

Un amalgame courant dans l’analyse de cette affaire de la migration clandestine repose sur la définition des différents intervenants. Ils ne sont en réalité que de deux sortes : soit des demandeurs, soit des prestataires de services. Ils agissent dans un marché rentable mais puant, dans lequel la lutte vise non pas à le stopper, mais à le rentabiliser. Cette position, semblable a celle de la communauté internationale vis-à-vis du trafic d’armes… (vendre d’abord… lutter ensuite), nous laisse croire que le solennel discours politique sur la lutte efficace contre ce trafic n’est que la déclaration officielle de l’ouverture des ventes aux enchères.

L’interdiction crée le trafic, et loin de la volonté affichée d’arrêter ce trafic, on met en place les nouvelles règles d’un nouveau jeu avec des nouveaux codes, dans lequel chacun trouve son bonheur.

Entre temps, le drame du maillon faible de ce jeu ne cesse de croître : le migrant, placé à la base de la chaîne alimentaire de cette énorme forêt, lui aussi essaye de s’insérer dans le jeu avec un choix limité de scénarios : devenir un outil de l’esclavagisme moderne sous diverses formes, ou mourir en essayant de le devenir…

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